La nuit de la myrtille [Pv Alliahn]

La nuit était fraiche, la nature emplie de tous les bruits divins qui façonnent l'oreille du monde. Magique, il n'y avait pas d'autres mots. J'étais partie à l'insu de tous dans la forêt de Nyx pour y laisser les énergies positives revigorer mon âme et mon corps, aspirer le venin de mes sentiments. Le vent à la fraicheur mordante se faisait doux et apaisant à mon passage, la brillance des étoiles se faisait moins intense pour me reposer. Je déambulais sans but particulier, juste pour le plaisir de marcher et de réfléchir à rien, de ne porter aucun jugement. Penser au futur. Oui, le futur ? Que ferais-je donc une fois sortie de la Maison de la Nuit, si toutefois j'en sortais ? Trouver un métier ? Presque envisageable. Rester ? Improbable. Partir ? Possible, mais pour aller où ? Courir par monts et par vaux à la recherche d'une vie parfaite et parfaitement éternelle et ce pour l'éternité ?
Alors que mes pas me menaient vers l'Est, un je ne sais quoi me força a contourner un arbre pour aller plus au Sud. Une étrange aura se dégageait d'une portion de la forêt. Je m'approchai discrètement, assez pour sentir la présence d'une autre personne, devant moi. C'est toujours quand on veut être silencieux que l'on fait le plus de bruit. Je marchait sur une branche et sursautai. Je me pris les pieds dans une racine traitresse et tombait au sol avec un bruit mat.

"Aieuuuuuuh..."

Je m'étais cogné la tête contre quelque chose et je maudis ma maladresse humaine qui de temps à autre aimait ressurgir, toujours aux moments où l'on s'y attend le moins, jamais en ma faveur. La personne mystérieuse était attentive désormais, c'était certain. Je me relevai pour aller à sa rencontre et tenter le tout pour le tout. Je ne me relevai pas. Des plantes au ras du sol s'étaient étirées en un mince filet qui trahissait leur puissance. J'étais coincée. Une liane s'était plaquée contre mon dos, une autre retenait mon poignet droit, mes chevilles aussi étaient prises au piège. Aussi, je dis d'une voix pitoyable :

"Euh...Quelqu'un pourrait m'aider ?"

"Aieuuuuuuh..."

Cette plainte s'éleva soudainement. C'était bien quelqu'un qui venait, ou qui plutôt avait fait connaissance agréablement avec le sol... J'ai hésité à allez voir ce dont il en retournait. Franchement, je m'en fichais. Je pourrais très bien me glisser à travers les arbres et trouver un coin moins « peuplé ». La personne qui était tombée ne pouvait pas s'être fait si mal que cela, sinon s'aurait été plus un hurlement qui aurait troublé la tranquillité de la nuit. Ce que je redoutais le plus, même si je ne voulais pas vraiment me l'avouer, était d'avoir une autre fichue vision. Une seule m'avait épuisé, je n'en supporterais pas une autre sans être préparée. Rapidement et ayant plus ou moins cerné la technique, j'érigeais mon dôme protecteur dans mon esprit, en vérifiant s'il était bien hermétique. Voilà qui irait mieux. Je devais au moins voir si l'inconnu allait bien, les dons de Nyx m'y encourageaient. Alors rapidement et retrouvant ma souplesse habituelle, j'ai traversé un bosquet en direction du bruit. De là j'entendais parfaitement les gestes vains que le ou la malchanceuse pratiquaient pour se dégager. Je dois dire qu'en découvrant une novice à l'air étrangement familier, j'ai faillis rebrousser chemin. Une première année qui s'était magistralement empêtrée dans les racines basses de la forêt. J'ai décelé ce qui me faisait croire que je la connaissais... Elle me ressemblait. Ses traits n'étaient pas aussi sévères que les miens, ni sa peau encore aussi pâle (la Transformation devait prendre son temps), sa chevelure rousse n'avait pas exactement la même teinte que la mienne (différente pourtant assez jolie), et ses yeux étaient un peu plus foncés que ceux dont on m'avait doté, mais les similitudes étaient là. Certes il fallait être aveugle pour affirmer que nous nous ressemblions. C'étaient seulement quelques attributs physiques que nous partagions. J'ai étouffé un rire en la voyant ainsi étalée par terre, une liane lui parcourant le dos.

"Euh...Quelqu'un pourrait m'aider ?"

Sa voix était faible, misérable. Elle me déplut immédiatement. Pourtant quelque chose m'attirait... La Lune était haute, je lui ai adressé un regard, puis je suis revenue à la fille. Je sentais... Je sentais un drôle une drôle de conscience, tendant vers moi, même derrière ma barrière. J'ai avancé en dehors de l'ombre des branches, et j'ai soupiré en la regardant.

- Tu t'y es vraiment bien prise !

Depuis quand un vampire tombait-il ?! C'était si ancien la maladresse... Humain en fait.
J'ai fait attention de la toucher le moins possible en coupant de mes ongles tranchants ce qui la retenait au sol.

- La prochaine fois essaye d'aller saluer les fourmis avec plus de délicatesse, cela sera moins désagréable.

- Tu t'y es vraiment bien prise !

J'avais du mal à voir la personne qui m'avait parlé, de plus qu'elle était au dessus de moi en train de couper les lianes qui m'empêchaient de respirer de plus en plus.


- La prochaine fois essaye d'aller saluer les fourmis avec plus de délicatesse, cela sera moins désagréable.
- Euh, oui merci...euh...madame.

J'avais bégayé. Non je n'étais pas choquée, mais quelque chose m'avait frappée. Cette ravissante personne en face de moi, je connaissait son visage, je l'avais vue plusieurs fois de dos, mais où ? J'essayai de puiser dans mes souvenirs, sans voir autre chose que du pavé et un éclat roux. Ses cheveux ? Je m'appliquai à ne pas la dévisager pour ne pas me montrer impolie, mais remarquai que j'avais loupé mon coup. Elle venait de me libérer d'une situation très inconfortable d'un point de vue physique et moral, elle m'étais familière, elle semblait plus âgée que moi... Et je ne m'étais même pas présentée ! "Quelle cruche" pensais-je de moi même, "même une cruche cassée vu les récents évènements".

"Je m'appelle Alliahn Denali, je suis en première année à la Maison de la Nuit...je fais aussi partie des Filles de la Nuit, je suis une des préfètes, mon élément c'est l'eau... et...voilà..."

Cruche cruche cruche ! Et "crush crush crush" me souffla mon esprit. Écrasement. Voilà qui résumait bien ma rencontre avec le sol de la forêt de Nyx. Je ne savais pas trop où me mettre, ni quoi dire pour ne pas passer pour une parfaite petite abrutie encore trop faible, comme une humaine par exemple, pour se dépêtrer toute seule de ses problèmes.
J'attendis en faisant pulser mes doigts sur ma cuisse gauche, les pouces dans les poches à la manière d'un garçon, symbole de mon angoisse.

Madame ? Tiens, on ne me l'avait jamais faite celle-ci ! On m'avait dispensé de « mademoiselle » quelques fois, mais ce dernier titre n'avait jamais été remplacé par un « madame ». Avais-je l'air si vieille ? Je n'ai pas bronché pendant qu'elle se relevait. Je la reconnaissais soudain vaguement, pour l'avoir accueillie comme mes camarades durant le premier jour. A...quelque chose. Une amie de la petite surdouée vampirique qui avait aussi fait son entrer l'année dernière. A vrai dire je n'y avais pas prêté beaucoup attention, depuis que mon don s'était développé. J'évitais les rassemblements d'élèves, les réunions des Fils et Filles de la Nuit en faisant parti. Certes il m'arrivait d'y aller de temps en temps.

"Je m'appelle Alliahn Denali, je suis en première année à la Maison de la Nuit...je fais aussi partie des Filles de la Nuit, je suis une des préfètes, mon élément c'est l'eau... et...voilà..."


Allianh, un prénom peu commun, même ici. Elle ne m'apprenait pas grand chose, si ce n'est son élément. L'eau ? Et bien peut être que finalement nous pourrions bien nous entendre. A condition qu'elle arrête d'hésiter ainsi, de parler tel un être faible. Un peu d'assurance que diable ! J'ai souri en me demandant si c'était moi qui l'intimidait. Si c'était le cas, c'était fichtrement jouissif, et si j'avais tord, le penser restait agréable. Elle mit ses pouces dans les poches avants de son pantalon en les frappant doucement contre sa cuisse. Très désagréable comme son, bien que léger. Je l'ai regardée en penchant la tête sur le côté, disséquant son attitude.

- Moi, c'est Anaëlle. Troisième année, Fille de la Nuit aussi et également proche de l'eau. Je me rappelle de ton insertion au sein de notre communauté. C'est toujours pareil avec les nouveaux élèves, du sang neuf. Mais il émane de toi une présence puissante. Alors dis moi, dis je changeant complètement de sujet, que fais-tu dans la forêt seule après les cours, Allianh Denali ?


Je savais que la question pouvait m'être retournée. C'était légitime après tout. Mais ma curiosité était attirée par ma passagère insensibilité surnaturelle. Que c'était agréable de lâcher prise. Ce lieu était parfait en plus de cela. Calme, reposant. Durant ma première année à la Maison de la Nuit, je ne m'étais sentie guère rassuré. C'était sombre, un peu effrayant. Maintenant que mes sens s'étaient affinés, rendant le monde transparent, je la trouvais beaucoup plus attirante. Mes sorties en ville s'étant raréfiées en raison de la soif de sang, avec tout ces petits humains alléchants,par conséquent cet endroit était un refuge parfait. Allianh ne venait pas souvent sinon je l'aurais aperçue lors de mes escapades nocturnes. Dommage. Faire mes séances de Maîtrises avec un cobaye de la même espèce que la mienne aurait pu être intéressant. En attendant sa réponse je me contentais de jouer avec les reflets que le feuillage projetait sur mon pull de cachemire ivoire.

- Moi, c'est Anaëlle. Troisième année, Fille de la Nuit aussi et également proche de l'eau. Je me rappelle de ton insertion au sein de notre communauté. C'est toujours pareil avec les nouveaux élèves, du sang neuf. Mais il émane de toi une présence puissante. Alors dis moi, dis je changeant complètement de sujet, que fais-tu dans la forêt seule après les cours, Alliahn Denali ?

Une présence puissante ? Étais-je aussi détectable que cela ? J'allais devoir demander de l'aide à quelqu'un très vite pour la maîtrise de mon don. Bien que ce soit au programme de première année, je me sentais trop avancée par rapport aux autres, trop épanouie.C'était une véritable faiblesse en fin de compte.

- Eh bien j'essaye de me recueillir un peu auprès de Nyx, de lui demander des conseils pour mon...don incontrôlable qui je suis sûre va signer mon arrêt de mort avant la fin de ma transformation. Tu penses que tu pourrais m'aider un peu ?

Après tout oui, j'étais venue ici dans le but de me ressourcer, de remettre certaines pensées en ordre tout en profitant de l'aura bienveillante dont Nyx entourait cette forêt. D'où son nom, la forêt de Nyx. Je me posais plein de questions, trop peut être. N'étais-ce pas Nyx qui dotait les jeunes vampires de leurs dons ? Elle qui choisissait si oui ou non tel élève réussirait, alors qu'un autre mourrait ? M'avait-elle condamnée à mort ? J'étais une nouvelle, je ne savais pas grand chose. Je songeais à me rendre à la bibliothèque ultérieurement pour rechercher dans l'histoire de la Maison de la Nuit si un cas semblable au mien existait, ou si j'étais vraiment la grande exception du siècle, ce que je ne voulais surtout pas être. La lune se dévêtit d'un nuage grisonnant et propagea sa lumière blafarde dans les sous bois, éclairant le pull d'Anaëlle. Un signe de Nyx ? Comment l'interpréter ?
Je détaillai ma camarade ainsi mise en valeur : des cheveux flamboyants roux, des yeux plutôt foncés bien que plus clairs que les miens, une teint pâle, le tout très harmonisé par une légère touche de maquillage. Magnifique. Les vampires sont si beaux une fois transformés.
Mes doigts tapotaient toujours sur ma cuisse, dans un ordre presque toujours semblable. De mon temps humain, j'étais violoniste, mais j'avais tout abandonné (contrainte et forcée) pour la Maison de la Nuit. Je désespérais de revoir un jour cet instrument au son merveilleux. Mon anxiété s'était un peu dissipée, et avec elle, mon assurance et la fermeté de ma voix étaient revenues.

- Enfin, si tu le veux.

Alliahn ( l'ayant approché d'un peu plus près, son nom réussirait peut être à s'imprimer dans mon cerveau) était donc venue ici presque dans le même but que moi. Cela n'aurait franchement pas du m'étonner, du fait que nombreux novices considèrent leurs dons comme un calvaire avant d'en avoir le dessus. Nous étions en premier temps près à tout essayer pour trouver la paix, du moins pour ceux qui l'avait perdu. Après le paracétamol, dont on découvrait vite l'inefficacité, la gueule de bois au sang, l'asocialité dans mon cas, se tourner vers Nyx était légitime. Pour certains cette option arrivait en premier. Seulement si j'avais vraiment appris quelque chose au sujet du Don, c'était que seul le travail sur soi permettait de le contrôler. Contrairement aux apparences, j'ai progressé ! Il y a un an je ne serais même pas aller voir qui avait troublé mes efforts. Ces derniers étaient lents mais sûrs, bien que chaque nuit j'appliquais la technique de la barrière mentale sans avoir de résultats parfaits. Dur d'être un vampire en devenir, dur. C'est avec cette optique que j'ai considéré les paroles de la première année qui me faisait face. Malgré les cours de Maîtrise, le plus difficile à faire était personnel. Avait-on des cours de Maîtrise en première année d'ailleurs ? Je me souvenais que non, mais les temps sombres que la Maison de la Nuit essuyaient avaient peut être changé légèrement le programme... Toujours était-il que s'il m'était devenu plus facile de m'approcher de mes camarades au fil des mois, je n'en avais jamais pris plaisir (sauf avec certains représentants de la gente masculine, mais c'est une remarque douteuse). Je n'appréciais pas les gens. Quels qu'ils étaient. Seule la curiosité arrivait à me pousser à leur encontre. Et cela m'allait très bien ainsi.

Les cours n'avaient fini il n'y a pas longtemps, la nuit était encore belle pour peu qu'elle soit créative. Et qu'est-ce qui m'indiquait que je pouvais aider cette fille ? Certes mon dégoût irrépressible pour elle s'était éteint en même temps que sa faiblesse apparente, elle paraissait moins chétive, un petit peu moins humaine qu'il y a un instant. Mais je ne savais pas si son don était dans le même domaine que le mien, à savoir celui de l'Esprit. Il pouvait tout à fait être lier au monde matériel, et dans ce cas je ne serais bonne qu'à l'envoyer voir près de son mentor. Mais je suppose qu'elle l'avait déjà fait. Partager mon coin de calme à la limite. Pas vraiment le mien en fait, mais ça revenait au même. Comme souvent lorsque j'hésitais entre ma petite personne et un sujet de divertissement journalier, je me suis mordue la langue en dévisageant de plus près Alliahn. Elle avait l'air sympathique, innocente, amicale en fin de compte. Ce qui ne me donnait pas tellement envie de la connaître ou de l'aider. Qui ne tente rien n'a rien... Je me suis approchée d'elle sentant les légers relents humains qui faisait parti de son odeur. C'étaient sûrement ses vêtements encore imprégnés de son ancienne vie, ou bien le liquide carmin qui palpitait fortement près de son cou qui ne s'était pas tout à fait métamorphosé. De ce point de vue, elle était tentante, mais sans plus. Même mon rêve d'un bon verre de vin coupé au sang ne se ravivait pas devant cette effluve. C'était la Transformation dans tout son art. Je parie que d'ici un mois elle ne sentirait plus que l'odeur sucrée dont nous faisions tous montre.

- Pourquoi pas. Mais tu dois me dire quel est ton don pour cela, que je puisse t'aider avec ce que je sais, per aspera as astra... « Par des sentiers ardus jusqu'aux étoiles ».  Car même si la méthode paraît simple, c'est à s'y acharner que l'on réussi. Si ça te réconforte, sache que tu n'es pas la seule à devenir folle à cause du cadeau de Nyx !

J'ai accompagné ma réponse d'un sourire de travers en reculant un peu. N'importe qui pouvait être effrayant au sein d'une forêt, même sacrée.

J'observai d'étranges changements en mon interlocutrice. Changeait-elle d'avis concernant ma personne ? Mais dans quel sens ?
Il est vrai que depuis mon arrivée à la maison de la nuit, j'avais pu remarquer maintes fois que certains vampires étudiants, de troisième année ou plus, avaient tendance à considérer les nouveaux vampires, encore à moitié humains, comme des moins que rien. De ce fait, il leur adressaient régulièrement des regards condescendants en les croisant dans les couloirs. Mais il y avait aussi l'opposé, car le mal n'existe pas sans le bien. Certains vampires prenaient plaisir à aider les nouveaux à s'intégrer dans la maison de la nuit et à les conseiller, les rassurer sur leurs doutes.
Ainsi, ma question tournait et retournait dans ma tête : de quel parti Anaëlle faisait donc partie ?

- Pourquoi pas. Mais tu dois me dire quel est ton don pour cela, que je puisse t'aider avec ce que je sais, per aspera as astra... « Par des sentiers ardus jusqu'aux étoiles ». Car même si la méthode paraît simple, c'est à s'y acharner que l'on réussi. Si ça te réconforte, sache que tu n'es pas la seule à devenir folle à cause du cadeau de Nyx !

- Mon don ? Je ne sais pas trop comment dire ce que c'est. En vérité, je suis loin d'en avoir découvert toutes les facettes. Généralement, je peux lire les pensées des gens, savoir ce qu'ils ressentent même quelque fois. Récemment, j'ai réussi à dire "stop" à mon esprit, à lui dire de se fermer pour arrêter de tout le temps violer la personnalité des autres. Mais de temps à autre il s'active tout seul, et c'est bien ce qui me fait peur... L'autre jour, Lyna me racontait son histoire, son arrivée à la maison de la nuit, elle me parlait de ses amis et de ses amours... Puis il parait que mes yeux sont devenus blancs, elle me l'a dit, et que je suis tombée dans les pommes. J'ai vu ce qu'elle me disait comme si j'étais elle, puis ensuite je suis arrivée dans un tunnel sans fin, il y avait juste de la lumière que je ne pouvais pas atteindre tout au bout. Lyna m'a sauvé la vie ce jour là je crois... Qu'en penses tu ? Je vais m'en sortir ? C'est normal qu'en première année mon don soit aussi puissant ?

Je me sentais libérée d'un poids. J'avais décidé de faire confiance à quelqu'un. C'est ça se faire des amis : accepter de courir le risque de souffrir si la confiance est trahie, si on doit barrer les souvenirs d'un trait bien ajusté. Mais j'avais confiance. Simplement confiance.

-Mon don ? Je ne sais pas trop comment dire ce que c'est. En vérité, je suis loin d'en avoir découvert toutes les facettes. Généralement, je peux lire les pensées des gens, savoir ce qu'ils ressentent même quelque fois. Récemment, j'ai réussi à dire "stop" à mon esprit, à lui dire de se fermer pour arrêter de tout le temps violer la personnalité des autres. Mais de temps à autre il s'active tout seul, et c'est bien ce qui me fait peur... L'autre jour, Lyna me racontait son histoire, son arrivée à la maison de la nuit, elle me parlait de ses amis et de ses amours... Puis il parait que mes yeux sont devenus blancs, elle me l'a dit, et que je suis tombée dans les pommes. J'ai vu ce qu'elle me disait comme si j'étais elle, puis ensuite je suis arrivée dans un tunnel sans fin, il y avait juste de la lumière que je ne pouvais pas atteindre tout au bout. Lyna m'a sauvé la vie ce jour là je crois... Qu'en penses tu ? Je vais m'en sortir ? C'est normal qu'en première année mon don soit aussi puissant ?


Une télépathe. Eh bien ! Moi qui avais le doute persistant que son don ne soit pas dans le même domaine que le mien ! Une télépathe, rien que cela ! Mon étonnement était si présent que j'ai abandonné le temps d'une fraction de seconde mon masque indifférent, si ce n'est légèrement froid. Certes, la chrono-clairsentiance et la télépahie n'était pas si proche que ça, mais le sentiment que nous partagions me forçait à être surprise. Même si la nature de ce denier n'était pas exactement pareille... Alliahn en avait marre de « violer la personnalité des autres », alors que dans mon cas ce qui m'épuisait était le fait de ne jamais être tranquille. Rien à faire de la vie privée des autres, surtout pas de celles des humains, chez qui mes sens extra-sensoriels semblaient décuplés. Mais quoi, faut-il tout le temps se contenter des premiers années pour s'amuser un peu ? C'était de fait les moins beaux de la Maison de la Nuit, qui plus est. Les frigos sont lassants à force. Par contre, je savais que nul n'arrivait à bloquer ou contrôler complétement le « cadeau » de Nyx. A la limite ne pouvoir faire qu'un avec lui afin de lier à moindre mesure notre volonté à cette part de soi même. Rien d'absolu, rien de sûr, tout de vampirique. Les débordements existeront toujours, le fait que nos pouvoirs « s'activent tout seuls » aussi. Il semble par ailleurs que le cas d'Alliahn ne soit pas seulement de la télépathie, car dans tous les livres consacrés au sujet que j'avais lus (et il y en a pas mal, j'ai fait tout le rayonnage de la bibliothèque sur les dons), aucun ne faisait mention de vision. Des visions qui m'étaient malheureusement familière, bien qu'un peu différentes. Etre déconnectée du monde, ah. Je regardai distraitement la première année qui me tenait compagnie, en tournant rapidement ses paroles dans mon esprit. Elle avait trouvé un moyen de bloquer son 6e sens. Mais savait-elle clairement lequel ? La connaissance aide à la pratique, or arriver à stopper son don incluait de savoir comment faire, afin d'apprendre à modeler cette interdiction à son goût. Par exemple en utilisant ma barrière mentale, je pouvais excepter les visions « non physique » de mon blocage. Laisser libre cours à mon don lorsqu'il provoquerait des visions qui ne seraient pas dues au contact physique avec la personne concernée. C'était une des choses que j'avais apprises cette année, mais ma période de doute passée, je savais que les premières années n'avaient pas de cours de Maîtrise. J'ai joué un instant avec l'anneau ébène qui était enserré à mon annulaire, puis j'ai soupiré en dévisageant la lune. Nous étions deux sous son feu cette nuit. Deux. Exactement la raison pour laquelle j'aurais du refuser de l'aider.

-Alors tu es télépathe. Sache qu'en tout cas les visions renforce cet état, et que cela n'est pas très banal. Je vais répondre à tes questions dans l'ordre avant de te donner quelques conseils : je pense tout d'abord que tu t'effraies pour rien. Même si ce constat est mal venu de ma part, il faut garder en tête qu'un jour tu arriveras à prendre le dessus sur ton don, qu'il fait parti de toi autant que tes doigts, ou tes oreilles. Il est périphérique à ton esprit, mais tu ne peux pas t'en séparer, tu comprends ? Oui, tu vas donc t'en sortir, malgré que ce soit au prix de sacrés efforts ! Cela, je peux te l'assurer, puisque de mon côté si je progresse, je n'en vois pas encore tout à fait le bout. Et la dernière réponse que j'ai à t'offrir est que si ce n'est pas « normal » que ton don soit aussi développé en première année, c'est commun. Rien n'est normal ici, en revanche ceux qui manifestent un « pouvoir » le font très souvent entre la première et la deuxième année. Cela veut peut être dire que ton don se renforcera après, je n'en sais pas beaucoup plus que ce que j'ai lu à la biblio', pour les télépathes. Je n'ai qu'à te proposer les exercices que je fais, et si je ne suis pas certaine que cela te préservera du fait de lire les pensées, en tout cas il règlera partiellement le problème des visions. Et t'aideras à te concentrer sur ce que tu veux, par exemple en choisissant de lire les pensées de quelques personnes.. Tout ça est sur long terme, et je te préviens, les résultats se feront peut être un peu attendre. « Si tu veux maîtriser cette part de toi, apprends déjà à lui rendre sa liberté ». En laissant libre cours à ton don pendant des périodes déterminées, celles où tu es dans la forêt par exemple, tu l'empêcheras de « déborder »  trop violemment lorsque tu es en contact les autres, vois-tu ? Et rester avec moi ne comporte aucun risque, je suis immunisée. Tiens, fais comme moi, si tu souhaites essayer de lâcher prise ici.

Après de grandes explications toutes fois fort simples, je me suis rassise sur le sol au fragrances musquées. J'ai fermé les yeux en détruisant ma barrière mentale, ne laissant qu'un côté de mon mur vers la conscience d'Alliahn, au cas où. Lâcher prise. Je ne me souciais déjà presque plus d'elle, mais je tâchais de lui fournir des indications, soit à écouter, soit à suivre, comme elle voulait.
- Respirer calmement, en se calquant sur le rythme de son environnent.
Inspire, expire.
- Déployer son 6e sens en allant à la rencontre des êtres vivants cachés : arbres, animaux, plantes, tout ce que tu trouveras, en essayant de tous les atteindre, si bien que ton don ne peut se focaliser sur un seul en provoquant une vision.
Je joignais l'acte aux mots, et je savais que rien ne se produirait pour avoir testé la technique bien des fois. Ne pas brimer son talent était extraordinairement plus facile que d'essayer de le contenir. Dommage que la première phase soit si facile comparée aux autres.